Robert
Charvin
Le
processus de mondialisation - Impact juridique et politique
Le 17 novembre 1989, l'Assemblée Générale adopte une résolution par consensus intitulée "Décennie des Nations Unies pour le droit international". C'est un paradoxe. Certes, un certain nombre de juristes quittant rarement leur bureau ou en quête de consultations expriment un optimisme officiel quant au rôle de la régulation juridique dans l'ordre international et sur l'application de la Charte des Nations Unies.[1]
Curieusement,
ces juristes sont en situation de dysfonctionnement théorique avec les thèses
(non juridiques) qui applaudissent au "marché-roi" et chantent la
"mondialisation heureuse" (A. Minc, 1998). En effet, la part du
droit ne cesse de se restreindre et sa nature évolutive bouleverse les
conceptions européennes et positivistes les plus classiques, si doctement et
si longtemps enseignées. Ils oublient le procès fait constamment aux
tentatives de maîtrise des relations internationales, particulièrement des
relations économiques et financières internationales, grâce aux
"instruments d'autrefois d'essence étatique", comme l'exprime A.
Minc.
Il
semble qu'il y ait rupture entre le "juridiquement correct" d'une
part et "l'économiquement et le politiquement correct" d'autre
part, d'où un repli sur le "désincarné" (les manuels de droit
international réduisent au minimun les exemples, de moins en moins
exemplaires), sur les seules techniques du droit communautaire, et l'abandon
du droit international général, l'appel aux concepts fantasmatiques (de type
"la communauté internationale" acteur principal dont on ne donne
nulle définition), le "dédoublement fonctionnel", inventé par G.
Scelle, il y a plus d'un demi-siècle, permettant aux grandes puissances d'être
fondées à recourir à la force parce qu'elles incarnaient le Droit. C'est
aussi le retour vers une conception individualiste: son avenir serait
conditionné par "l'équilibre, toujours mouvant, entre les exigences de
liberté et celles de la solidarité". En définitive, c'est à Dieu ou
à une quelconque force transcendantale qu'on s'en remet pour que puisse se dégager
le nécessaire "Bien Commun".
En
fait, il apparaît que le "magique" des juristes rejoint par des
voies différentes le "magique" des économistes qui assurent que le
processus de mondialisation en cours est la seule voie du Bien Commun, retardée
par une logique que certains n'osent pas mener à son terme.
D'autres
juristes, moins nombreux, croient devoir constater que le droit international
est dans le coma, tout comme le système des Nations Unies, largement
instrumentalisé, et ce pour le plus grand profit d'autres modes de régulation
non juridiques. Ils s'étonnent que le traditionalisme juridique ne semble pas
se préoccuper de la défense d'un objet qui, il y a peu, résumait tout le réel
et qui, aujourd'hui, est assimilé à un "juridisme" handicapant et
archaïque: le néolibéralisme nous rappelle qu'"aucune logique ne peut
s'opposer à la mondialisation" (de type capitaliste) et à la
financiarisation de l'économie mondiale, pour laquelle il suffit de
rechercher des "codes de bonne conduite" ou de l'"éthique".[2]
Ils
ne croient pas que la seule logique des marchés financiers puisse se
substituer de manière positive à une régulation juridique, quelles que
soient ses très profondes carences.
Néanmoins, cette absence de régulation "visible" (comme le sont les normes juridiques ou religieuses) donne au capitalisme moderne et à sa mondialisation un air de liberté absolue, d'autant que les frontières des morales traditionnelles ne cessent de reculer dans tout l'Occident[3].
Les
politistes américains à la mode, comme Rawls ou Nozick, sont d'ailleurs
partisans d'un "libertarisme capitaliste" tant dans l'ordre interne
qu'international[4].
Le
courant des "juristes inquiets"[5]
regrette qu'il n'y ait aucune interrogation sur la régulation juridique et
les nécessaires arbitrages qui s'imposent à toute communauté humaine, à
moins de régresser vers une jungle policée par ses dimensions technologiques
et les capacités d'anesthésie dont se sont dotés les principaux opérateurs
économiques et financiers.
La
"défense des droits de l'homme", l'"humanitaire", les
"clauses sociales ou de conditionnalité démocratique" présentes
dans certains accords économiques, l'émergence d'une "société civile"
transnationale pleine de potentialités citoyennes, ainsi que la constitution
d'ONG téléguidées et leur "partenariat clamé à toutes occasions,
l'action incessante des pouvoirs médiatiques dominants, prétendent tout légitimer
et donner "un sens" non économiste au processus de mondialisation,
mission que remplissaient autrefois l'anticommunisme et la défense du
"monde libre".
La
financiarisation des relations internationales (dont la logique laisse à
l'abandon de multiples espaces et populations), fait apparaître la notion
d'homme et de peuple "inutiles".
Le
juriste et le politiste s'interrogent donc sur la mondialisation en tant
qu'emprise d'un système économique sur l'espace mondial, en tant que
mouvement transcendant la logique du système interétatique traditionnel
auquel se substitue une logique de réseaux financiers transnationaux[6].
Il n'y a ni crise ni continuité mais mutation des opérateurs stratégiques
et mutation de la nature des transactions par la financiarisation. De ce fait,
la régulation juridique d'origine étatique se voit surpassée. De surcroît,
à l'édification d'une économie mondiale de marché s'ajoute le développement
d'une "société mondiale de marché", ajustée aux besoins économiques.
C'est
pourquoi seront évalués successivement:
-
Le dépérissement programmé de l'Etat et des institutions interétatiques;
-
la relégation de la législation juridique aux conflits "mineurs"
de la société internationale;
-
l'édification d'une "société internationale de marché".
I.
Le dépérissement programmé de l'Etat et des institutions étatiques
Les
différentes catégories d'Etats, sur tous les continents, connaissent un déclin
accéléré. Ils perdent l'essentiel de leurs compétences traditionnelles et
connaissent par là-même une transformation de leur nature (quelles que
soient les forces politiques qui en assurent la direction). Au pire se profile
à l'horizon un "collapsus étatique", déjà subi à des degrés
divers par différents Etats du Sud et de l'Est (Libéria, Somalie, Russie,
etc.). Au mieux, l'Etat "flotte", selon l'expression de "Davos
1999", tout comme les monnaies!
Il
ne s'agit évidemment pas du dépérissement de l'Etat prévu par Marx, qui
envisageait logiquement la disparition de l'Etat avec la fin des
contradictions qu'il était chargé de gérer pour le compte de l'une des
classes antagonistes. C'est l'Etat lui-même qui contribue à sa propre régression
en étant annexé par des forces adhérant au néolibéralisme, en particulier
en renonçant aux fonctions de gestion et de direction économique. Simultanément,
il renonce à nombre de ses fonctions sociales indissociables de l'économie,
depuis l'abandon du contrôle public des licenciements jusqu'au transfert aux
sociétés privées de la protection sociale, de la santé, etc., transformées
en marché. L'Etat-providence, en Europe, se transforme en simple "Etat-ambulance"!
Pour
faire accepter cette mort de "l'Etat-providence" qui, jusque là,
garantissait à ses citoyens divers services publics et prestations sociales,
une campagne médiatique "anti-étatiste" systématique est orchestrée,
souvent avec l'accord des gouvernements eux-mêmes: l'Etat serait par nature
"totalitaire", "liberticide", "bureaucratique",
voire "paresseux" et "gaspilleur" (cf. les rapports sur la
fonction publique française), alors que l'on pourrait faire le même procès
aux grands groupes monopolistes privés.
Néanmoins,
l'Etat occidental ne peut aller jusqu'au suicide, car il est l'un des
pouvoyeurs essentiels du profit des entreprises privées: les marchés publics
et autres aides, "subventions d'équilibre" et assurances à
l'exportation[7],
ainsi que les financements privilégiés accordés par les banques publiques (voir
l'affaire du Crédit Lyonnais en France) en effet, sont une garantie de survie
pour le secteur privé. C'est le cas, par exemple, lorsque les privatisations
des entreprises publiques ne sont réalisées que lorsque les finances
publiques ont repris les dettes, indemnisé les licenciés pour cause de
"dégraissage" et recapitalisé l'entreprise vendue à bas prix[8].
C'est aussi le cas lorsque le G7 (c'est-à-dire les Etats) ou le FMI
interviennent selon des modalités refusées à d'autres en faveur des marchés
financiers, pour leur fournir, à leur demande, une certaine assistance régulatrice.
Pour cette raison, ce "libéralisme" est une imposture dans la
mesure où, malgré son discours sur lui-même, il recourt abondamment aux
services de l'Etat, au détriment de sa fonction de détermination du Bien
commun.
Sur
ce terrain de la concurrence "déloyale", l'Etat sert aussi d'outil
aux puissances privées. Le réseau d'écoutes "Echelon", comme le
rapporte le parlement européen[9],
assure
pour le compte des Etats-Unis une surveillance électronique permanente de
l'ensemble de la planète pour des raisons de "sécurité". En réalité,
depuis la fin de l'URSS, le "National Security Agency" US fournit
aux entreprises américaines toutes les informations utiles enterceptées en dépit
des règles internationales de conncurrence. L'Etat américain apparaît ainsi
comme force d'appoint des pouvoirs privés américains.
Néanmoins,
même un acteur étatique surpuissant comme les Etats-Unis, est affaibli par
le processus de mondialisation trop ample pour être contrôlé. Il en est de
même pour l'Etat japonais ou chinois.
Quant
à l'Etat de petits et moyens pays du Sud, il tend à régresser, voire à se
disloquer, avant même de s'être réellement constitué. C'est le cas, par
exemple, en Afrique où certains Etats qui n'avaient pas encore échappé au
"patrimonialisme" se sont effondrés. Lorsqu'il fait plus que résister
et qu'il ose contester un processus qui ne lui profite en rien, il fait
l'objet d'agressions, de mises sous embargo, et tout est entrepris pour le détruire.
La mise sous tutelle généralisée du plus grand nombre des Etats du Sud,
dans le cas des "plans d'ajustement structurel", transforme la
plupart de ces Etats en organismes exécutifs d'institutions financières
internationales. L'Etat, dans ces circonstances, ne perd pas l'exclusivité
des compétences sur son territoire, ce qu'il n'a jamais eu, mais la substance
de sa souveraineté.
Alors
qu'hier "l'histoire des Etats subalternes s'expliquait par l'histoire des
Etats hégémoniques", comme l'écrivait Gramsci, aujourd'hui l'histoire
des relations internationales est essentiellement celle des pouvoirs privés
transnationaux (sociétés financières, firmes transnationales). En Europe
occidentale, l'"Europe des affaires" s'est rapidement établie à
partir du traité de Rome de 1957; la libre circulation dans la Communauté
Européenne des biens et des capitaux a très largement précédé celle des
hommes. Un demi-siècle après sa fondation, l'Union Européenne n'est pas
encore une "Europe sociale". Le pouvoir monétaire échappe désormais
aux Etats menbres: il relève d'une banque centrale européenne, pour une part
indépendante et irresponsable. Cette activité technocratique se substitue
ainsi à la compétence fondamentale de l'Etat dont la mission consiste désormais
à panser les blessures provoquées par le marché.
Le
déclin de l'Etat, contrairement aux idées répandues en Occident que tout
recul de l'Etat entraîne un progrès des libertés, débouche en Europe sur
une régression démocratique. En effet, les structures européennes sont
infiniment moins démocratiques que celles des Etats composant l'Union Européenne.
Afin
de ne pas apparaître comme les fossoyeurs de la démocratie, les pouvoirs
occidentaux ont donc lancé sur le marché des idées la notion de "société
civile", pervertissant ainsi celle définie par Hegel, Marx et Gramsci.
En compensation du dépérissement de l'Etat qui, jusque là, garantissait,
selon l'idéologie occidentale dominante, l'intérêt général, les néolibéraux
font la promotion d'une "société civile" débarassée des tares
bureaucratiques de l'appareil d'Etat, animée par des"citoyens" et
des entreprises assurant une forme vivante et quasi spontanée de la vie démocratique.
Entre
l'Etat et la société civile, l'homme gagnerait au change. En réalité,
cette notion à la mode est aujourd'hui profondément ambiguë. Ce culte de la
société civile s'appuie sur une certaine décentralisation et tend à
associer des ONG qui servent le plus souvent de relais et d'agents de contrôle
social des pouvoirs publics et privés dominants[10].
La coopération elle-même tend à la décentralisation: elle permet surtout
le court-circuitage de l'Etat du Sud qui se trouve contourné, sans pouvoir
exercer son contrôle et ses arbitrages, par des collectivités occidentales.
En
fait, "l'Etat-gendarme" se perpétue, à toutes fins utiles, bien
que la coercition à l'ancienne tende à devenir superflue[11].
Désormais,
de nouvelles hégémonies financières, agro-alimentaires et
communicationnelles voient le jour: au Leviathan traditionnel et visible,
certes affaibli, s'additionnent ainsi les pesanteurs d'une "main
invisible" encore plus totalitaire. Ce sont des réseaux enchevêtrés
mobiles, résultat de fusions massives, d'investissements croisés, entre
puissances privées, qui se situent hors de tout territoire, de toute
institution gouvernementale, à l'exception de rares structures telles que le
FMI ou la Banque Mondiale. Le pouvoir, hier situé, est devenu diffus. Il a de
moins en moins besoin d'esclaves ou d'exploités: un nombre croissant d'hommes
et de peuples entiers devient superflu[12].
Les
"exploitables" deviennent inutiles!
Ainsi,
si la nature des ravages sociaux n'est pas la même que ceux résultant de
l'Etat industriel, il apparaît que la "main invisible" a en fait la
"main lourde".
II.
La résorption de la régulation juridique internationale
Les
marchés financiers souhaitent imposer un substitut à la régulation
juridique internationale, produit des relations interétatiques. Les nombreux
codes de conduite, élaborés par les firmes transnationales et les sociétés
financières elles- mêmes, constituent une sorte de "soft law"
adaptée aux besoins de la course au profit. Mais cette régulation "à
l'éthique" ne peut protéger le bien commun: elle évite surtout un
capitalisme sauvage trop coûteux pour les opérateurs économiques eux-mêmes.
Les
principes généraux du droit international, et tout particulièrement celui
de la souveraineté, affirmé dans la Charte des Nations Unies, ainsi que le
droit au développement, élaboré dans les années 70, constituent des
handicaps pour les firmes transnationales qui veulent s'émanciper des normes
inspirées par la politique.
La
mondialisation aboutit de facto à une sorte de désuétude du principe de
souveraineté, jusque là noyau du droit international: la liberté de
circulation des capitaux, comme celle des investissements, exigent l'abolition
des frontières, des douanes et du contrôle de l'Etat souverain. Au "droit
politique" (celui de la Charte des Nations Unies, par exemple) doit succéder
un droit des affaires transnational, sanctionné si nécessaire par l'OMC, le
FMI, la Banque Mondiale, chargés seulement de compléter l'autorégulation
des pouvoirs privés. On ne peut écarter l'hypothèse selon laquelle les opérations
de l'OTAN à l'initiative des Etats-Unis contre la Yougoslavie participent
d'un projet de liquidation des principes juridiques fondamentaux, obstacles à
un pouvoir "global" de nature politique mais aussi économique et
financier.
Le
"droit politique", c'est-à-dire le droit international classique,
tend à se cantonner à la régulation des Etats du Sud, afin d'aider,
notamment, à la résolution de leurs conflits (dans la logique des intérêts
du monde des affaires) qui ne sont pas sans rappeler ceux que connaissait
l'Europe dans le passé (conflits territoriaux, conflits nationaux, etc.). Le
droit politique se constitue en une sorte de "droit international des
pauvres". Vis-à-vis des Etats du Sud dont l'agitation perturbe l'activité
commerciale et économique, une structure "policière" est considérée
comme nécessaire: le Conseil de Sécurité, contrôlé par les Etats-Unis,
assure la fonction de "maintien de l'ordre" occidental. Les ingérences
et les embargos pratiqués par les Etats-Unis, "bras séculier" des
Nations Unies, sanctionnent les incartades trop dérangeantes des Etats du Sud,
sans tenir compte de la légalité internationale à laquelle d'ailleurs il
n'est pratiquement plus fait référence. La "Communauté"
internationale, incarnée par les seuls Etats-Unis et leurs quelques alliés,
s'octroie tous les "droits" par delà les normes du droit positif et
sans la moindre considération pour les dispositions précises de la Charte
des Nations Unies. A défaut du Conseil de Sécurité, essentiellement bloqué
par le veto de la Chine ou de la Russie, c'est l'OTAN qui s'impose comme
gardien de "l'ordre" et institution anti-souverainetiste[13].
Cet
anéantissement du principe de souveraineté pour la majorité des Etats est
conforté par le rôle de législateur universel que s'octroient les
Etats-Unis.
Le législateur américain, en effet, adopte des lois et les déclare applicables hors du territoire américain. C'est ainsi que les lois Helms-Burton et D'Amato entendent sanctionner les entreprises qui, hors des Etats-Unis, fonctionnent conformément à leur loi nationale et à la légalité internationale classique, sans respecter les diktats américains à l'encontre de certains Etats qualifiés de "terroristes". Le Congrès américain a même adopté en 1998 une loi visant à protéger la liberté de religion partout dans le monde, en particulier afin d'imposer aux Etats (comme l'Allemagne et la France) la pleine liberté des sectes (dont le siège est aux Etats-Unis) qui diffusent les valeurs favorables à la mondialisation[14].
Cette prétention du droit américain à se constituer en droit universel rencontre certaines oppositions de l'Union Européenne, mais son extrême timidité conduit à des solutions provisoires de compromis qui ressemblent à des reculades[15].
Il
en est de même pour le projet d'AMI (Accord multilatéral sur les
investissements), élaboré dans le plus strict secret, dans le cadre de
l'OCDE par les représentants (de droite et de gauche) des Etats les plus
riches du monde, en l'absence des Etats du Sud. Ce projet de traité sur le
droit international des investissements est extrêmement significatif de la
volonté des pouvoirs privés dominants et des Etats-Unis d'imposer un droit
transnational nouveau, au service de la mondialisation capitaliste. L'AMI prévoit,
en effet, que les "investisseurs" (les sociétés financières, les
firmes transnationales) auront le même statut juridique que les Etats dans
l'ordre international. Le droit national de chaque Etat devra céder devant
les droits privilégiés des investisseurs. La libre circulation des capitaux
devra être absolue, et toute mesure étatique gênante pour les firmes privées
pourra faire l'objet d'un recours en annulation devant les juridictions au nom
du respect de la nouvelle légalité internationale. Les Etats ne pourront
émettre aucune réserve à ce traité dont ils ne pourront se dégager
qu'après un préavis de 20 ans!
Certes
le projet d'AMI n'a pas connu de conclusion. La révélation du contenu de ce
projet devant l'opinion internationale a suscité de fortes oppositions de
nombreuses ONG. Certains Etats du Sud se sont réveillés (notamment l'Inde,
la Chine, la Malaisie et l'Indonésie)[16].
Les médias se sont interrogés sur les risques de liquidation de l'identité
culturelle nationale, les menaces de pollution irresponsable, la liquidation
des entreprises nationales, etc.
Néanmoins,
le projet d'AMI représente une tendance lourde dans le processus de
mondialisation. Il correspond à la stratégie des Etats-Unis suivie dans le
cadre de l'ALENA ("modèle réduit" d'organisation de la planète
telle que la rêvent les Américains). Il est un besoin nécessaire à la
promotion des intérêts des plus grands groupes financiers du monde. Abandonné
dans le cadre de l'OCDE, il a toutes les chances de réapparaître dans le
cadre de l'OMC, sous une forme ou une autre, à une date rapprochée[17].
L'OMC
est elle-même l'embryon d'un "gouvernement global", ayant pour
vocation de jouer le rôle d'un législateur mondial bien qu'étant dotée de
structures non démocratiques contrôlées par les Etats-Unis. Les Etats
menbres doivent harmoniser leur législation nationale avec les obligations définies
par l'OMC (article XVI-4) et interprétées par les seuls Etats-Unis. Chaque
pouvoir d'Etat se voit ainsi doublé d'une sorte de "gouvernement bis"
constitué des experts du FMI, de la Banque Mondiale, de l'OMC, sous la menace
du principe de "conditionnalité politique": la nature du régime
doit convenir aux autorités des institutions économiques internationales.
En
réalité, le seul contrôle politique exercé par les forces transnationales
est une évaluation très sélective de la situation des droits de l'homme
dans le pays concerné. Il faut noter à ce propos que les droits de l'homme
sont entendus de manière très étroite: il ne s'agit que des droits civils
et politiques et nullement des droits sociaux, économiques et culturels, ou
du droit au développement, qui conditionne pourtant les autres droits.
En
fait, les "bons" élèves de cette nouvelle régulation
transnationale sont les Etats qui organisent des élections sous contrôle
occidental[18]
et tolèrent un semblant de multipartisme (très souvent totalement artificiel).
Ce sont aussi ceux qui, simultanément, ouvrent grandement leur marché et
leurs ressources naturelles aux "investisseurs" occidentaux, cette
ouverture constituant, aux yeux des Etats-Unis, le principal critère de la démocratie.
Cette
instrumentalisation des droits de l'homme au service du processus de
mondialisation se manifeste par des opérations de diverses natures. C'est
ainsi que la pleine légitimité du combat contre l'impunité des responsables
des violations des droits de l'homme tend à se retourner de manière
discriminatoire contre les "dictateurs" qui dérangent l'ordre de la
mondialisation, alors qu'on "oublie" ceux qui la favorisent, étant
entendu que la notion de dictature est laissée à la seule appréciation des
puissances occidentales, et plus précisément aux Etats-Unis.
La
cause des droits de l'homme est ainsi profondément pervertie par sa
transformation en arme de guerre contre les adversaires (voire les simples
perturbateurs) du capitalisme mondial.
III.
L'édification d'une "société
de marché"
Tout
mode de prduction est lié à un type de société, l'un interfère sur
l'autre. L'une des causes de l'échec du socialisme des pays de l'Est est de
ne pas avoir été en mesure de fonder une "société socialiste",
en raison à la fois des perversions d'un mode de production étatiste inapte
à rivaliser avec l'environnement immédiat du capitalisme développé et des
pressions du milieu extérieur (capitalisme développé de l'Europe de l'Ouest).
Le
cas de la RDA est particulièrement clair: pénétré par le modèle
ouest-allemand, y compris en son coeur même avec Berlin Ouest, le régime de
Berlin Est n'est pas parvenu à établir une société socialiste allemande.
Seuls
les socialismes du Sud (Cuba, RDP de Corée, Vietnam, etc) ont, avec des
difficultés de toutes sortes, pu résister: leur identification au mouvement
national et leur capacité à démontrer une certaine supériorité sur
l'environnement sous-développé voisin (par exemple les services de santé
publics cubains) ont permis l'émergence au moins partielle d'une société
socialiste-nationale spécifique.
Tout
le travail de l'Occident (pouvoirs publics et privés réunis, et en premier
lieu des Américains), est d'édifier une "société de marché"
pour accompagner l'économie de marché dans le cadre de la mondialisation.
Le
développement d'une idéologie consumériste passe essentiellement par le
climat créé par l'ensemble des activités commerciales et financières et
par les appels permanents à l'achat (publicité, supermarchés, innovations
technologiques constantes, etc.). Mais cette idéologie se systématise pour
se constituer en doctrine grâce aux centaines de millions de dollars investis
chaque année pour financer des milliers d'intellectuels , des "boites à
penser" (think tanks), de périodiques, revues, journaux, programmes
radio et TV.
Les
milieux d'affaires soutiennent les lobbies tels que l'"Eoropean
Roundtable" (fondé en 1983, composé de 45 PDG des plus importantes
firmes transnationales de l'Europe), financement desentraprises de relations
publiques (Hill and Knowlton, Burson Marstellar, etc.), organisent des
rencontres régulières (World Economic Forum-Davos) pour parvenir à élaborer
une "pensée unique) faisant de la mondialisation un phénomène "naturel"
et irréversible.
Cette
construction consiste, en premier lieu, à mener bataille contre les "Etats-butoirs"
(Cuba, Jamahiriya Libyenne, Corée du Nord, Irak, etc.)[19].
Ces
Etats, malgré leurs profondes différences respectives, ont pour trait commun
d'empêcher un consensus quasi universel en maintenant une stratégie indépendante,
qui peut même "contaminer" éventuellement par leur exemple
d'autres pays.
Les
différences entre ces "Etats-butoirs" sont telles que les
Etats-Unis ont dû avoir recours à une catégorie vague, "à géométrie
viariable", déterminée chaque année par le Congrès: les Etats "terroristes",
devenus récemment, dans le vocabulaire politique américain, les Etats "voyous".
La
liste de ces Etats dressée par les congressmen américains varie selon les
"opportunités" définies par la diplomatie du Département d'Etat.
La société internationale, après avoir été divisée durant la guerre
froide, entre "monde libre" et "monde communiste" (agrémenté
de la "subtile" distinction entre "régime autoritaire" et
"régime totalitaire) est donc désormais composée d'Etats "terroristes"
et du reste du monde, alors même que les Etats-Unis sont particulièrement
opposés à la notion de terrorisme d'Etat! Le terrorisme ne faisant plus
recette faute de terroristes internationaux actifs, les Etats proscrits sont
assimilés, comme au XIXe siècle, à des sociétés "barbares",
moyenâgeuses, réfractaires à la "civilisation" euraméricaine.
L'édification
d'une société de marché passe ensuite par la lutte pour l'affaiblissement
des identités nationales et culturelles: plus cette identité est forte et
imperméable aux influences extérieures, plus elle est à réduire. C'est à
ce titre que l'Américain Samuel Huntington considère que l'adversaire
principal de l'Occident du XXIe siècle est l'Islam (autrement dit le monde
arabo-musulman) et le Confucianisme (c'est-à-dire la Chine). Il n'y a pas
guerre contre des principes civilisationnels, mais contre le refus de
souscrire aux exigences de la mondialisation.
Aussi,
lorsqu'un Etat ou un courant islamiste, par exemple, se montre compréhensif
vis-à-vis du libre échange, il est parfaitement toléré (voir les relations
américano-saoudiennes, américano-afghanes, américano-Fis algérien, etc.).
En bref, l'identité culturelle ou religieuse doit être ramenée à sa
dimension purement privée (le statut personnel) ou relativement "folklorique"
(le statut des peuples amérindiens).
Dans
les aires culturelles perméables (en Afrique par exemple), les ONG, les
fondations et les sectes (de type Témoins de Jehovah, Eglise de Scientologie,
etc.) font pénétrer des valeurs favorables à l'"unification du
monde", et, indirectement, à une mondialisation sous les auspices de
l'Occident en général et des Etats-Unis en particulier.
Les
valeurs qui sont exportées afin de constituer une sorte d'"american
mondialism way of life", sont fabriquées à partir des qualités spécifiques
du "managment": la "flexibilité" (par opposition à la
rigidité), la "productivité" (sans finalité sociale), etc.
Ce
qui domine cependant, parmi les notions "nouvelles", c'est "l'inégalité
légitime". De nombreux idéologues du néolibéralisme entretiennent
l'idée que l'égalité (dans l'ordre social comme dans l'ordre international)
est une notion archaïque. Elle doit céder la place à la notion (des plus
vagues) d'"équité" qui peut justifier les prérogatives accordées
à certains au détriment d'autres.
Tous
les acquis du mouvement social dans l'ordre interne des pays industrialisés,
comme des Etats du Sud dans l'ordre international étaient basés sur une plus
grande égalité, source d'une meilleure répartition des richesses et d'une
plus grande sécurité face aux hégémonismes. Cet ordre est considéré
comme obsolète[20]
puisqu'il ne répond pas aux soucis de "performance" économique et
aux besoins de la concentration, phénomène majeur de la réalité
contemporaine.
L'humanisme
ne consisterait qu'à moraliser les jeux du marché. L'accent est mis, par
exemple, sur le combat que mènent les consommateurs et certaines entreprises
pour refuser les produits résultant du travail des enfants dans les pays du
Sud. Ce n'est pas un hasard si ce "combat moral" rejoint les intérêts
des firmes des pays industrialisés et met en cause la concurrence "déloyale"
des économies du Sud en raison des coûts de production réduits. La
mondialisation est utilisée comme une cause absolue qui sur-détermine tout,
même lorsque ce n'est pas le cas, notamment dans les économies ou les
secteurs peu ou pas concernés. Ainsi, la mondialisation est aussi un phénomène
idéologique au service des causes traditionnelles d'exploitation et de
subordination de classe.
L'idéologie
des droits de l'homme, surtout, est instrumentalisée: en écartant les droits
économiques et sociaux et les droits des peuples, elle réalise une
individualisation des problèmes, et, par ses prétentions universalistes,
contribue pour sa part à la mondialisation. La misère et l'exploitation les
plus systématiques ne suscitent aucune ingérence: seule la répression
politique (pratiquée par des régimes soigneusement "sélectionnés")
fonde la mobilisation d'une prétendue "communauté" internationale,
limitée en fait à 3-4 puissances sous direction américaine.
Les
concepts sont redéfinis: ainsi, la "modernité" acquiert un contenu
régressif et les plus archaïques pratiques sociales hiérarchiques et
exploiteuses récupèrent une couleur "avant-gardiste".
Tout
est entrepris pour tuer toute mémoire. Elle a en effet pour "défaut"
de donner aux hommes des repères et des éléments de comparaison, ce qui
permet de déterminer ce qui est progressiste ou régressif.
Il
faut aussi tuer la notion de "sens" et de finalité. La
mondialisation est en soi une fin, car elle est censée, par la théorie des
avantages comparatifs, devoir parvenir à régler tous les problèmes. La
recherche du sens pour l'action humaine relèverait désormais du dogmatisme
et du fanatisme. Elle est même accusée d'être porteuse d'un totalitarisme
larvé, ce qu'évite une approche "pragmatique" des réalités.
Le
résultat est une sorte de standardisation "morale" et conceptuelle
qui joue un rôle d'auxiliaire de la mondialisation. Se développe ainsi une
pseudo-civilisation[21]
de type cosmopolite, sans racine autre que celle de l'économie capitaliste
monopoliste, une sorte de "culture de l'ajustement structurel".
IV.
Conclusion
L'hégémonisme
américain et la mondialisation au service des firmes transnationales et de la
concentration font l'objet de critiques. En réalité, presque tout le monde y
acquiesce en prétendant s'y opposer. Les tergiversations de l'Union Européenne
face aux Etats-Unis sont significatives, mais la plus grande timidité est en
Europe de rigueur sur le front "délicat" de "l'anti-américanisme"[22].
Face
au nouveau dogmatisme intégriste des experts et autres
"consultants" ("ceux qui savent") au service des pouvoirs
privés, c'est à l'homme de culture ("celui qui ne sait jamais") de
réagir et de participer aux mouvements sociaux critiques, par delà les
frontières du Nord et du Sud[23].
"On
dirait que nous sommes élevés pour renoncer à la rigueur mentale et à
l'indignation morale, écrit J. Berque[24],
or "ce sont les deux sources de tout progrès."
Y
a-t-il une autre fin humaine que celle d'assurer le "primat absolu du
social" comme le recommande la Déclaration de Copenhague de 1995, c'est-à-dire
"la recherche d'une méthode radicale pour assurer une répartition des
disponibilités et des charges entre les collectivités du monde" (J.
Berque, 1972), en refusant tous les Empires, tous les hégémonismes et les
monopoles, ainsi que le déracinement généralisé qui se prépare et qui dépassera
en ampleur celui des masses de réfugiés d'ajourd'hui?
[1] Cf. par exemple, Nguyen Huu Tru, professeur à l'institut universitaire de Hautes Etudes Internationales (Genève), qui souligne en 1994 que le "système des Nations Unies, qui repose essentiellement sur la Charte, a prouvé ses capacités d'adapatation et de développement extraordinaire sur le plan normatif". Sa force ...réside dans ce dynamisme institutionnel remarquable lui permettant d'exploiter de façon adéquate les potentialités normatives de la Charte..." in: Mutations internationales et évolution des normes, PUF, 1994, p.22
[2] Cet enthousiame "mode" pour "l'éthique" est parfois le dernier avatar d'ex-progressistes désillusionnés se réfugiant, ici aussi, dans un transcendant laïcisé.
[3] Ce recul crée des espaces de décompression pour les sujets-consommateurs, les détournant de toute vélléité de contrôle des centres réels de décision, voire de toute conscience critique face à "l'intégrisme néolibéral" dont Baudrillard fait le procès: "... nous sommes dans une société intégriste... Ce n'est pas le mode terroriste, violent, spectaculaire, mais c'est plus insidieux et plus meurtrier... Nous sommes dans une sorte de manichéisme dépassé... C'est un processus de négation de toute négativité dans une sorte d'homogénisation..." Le renouvellement constant des idéologies de diversion, des "spectacles" offerts aux foules sont sources d'anesthésie ou de délire tout à fait équivalent à ce que produisait le mysticisme religieux européen médiéval. L'"opium du peuple" est toujours là, même s'il n'est plus ce qu'il était!
[4] Il serait intéressant de recenser l'ensemble des valeurs, principes et notions nés avec les mouvements sociaux dans les années 60-70 en Europe et aux Etats-Unis et d'évaluer leur récupération par les courants de pensée dominants afin qu'ils servent à des finalités radicalement opposées à celles pour lesquelles ils sont nés (Voir la science politique américaine, les publicités de l'Eglise de scientologie, etc...).
[5] Cf., par exemple, M. Chemillier-Gendreau in: "Humanité et souverainetés. Essai sur la fonction du droit international", La découverte, 1995.
[6] Cf. J. Adda, La mondialisation de l'économie, T.1., La Découverte, Genève.
[7] En France, par exemple, les marchés d'exportation ne courent que des risques limités grâce à un établissement d'assurances (la COFACE), alimenté partiellement par les cotisations des entreprises et garanti par l'Etat.
[8] En France, l'affaire du "Crédit Lyonnais, grande banque publique, révèle, outre les multiples scandales, que n'ont aucune importance réelle les salariés et les contribuables qui ont à payer les conséquences d'une gestion aventuriste, quasi maffieuse et indissociable des intérêts strictement privés et privilégiés. Les sommes englouties ( 19 milliards de francs) représentent l'équivalent de 2 repas médicalisés/jour assurés à 55 millions d'enfants sous-alimentés pendant une année complète. Cette "affaire" est une illustration parmi d'autres de l'étroite liaison entre une partie de la haute administration d'Etat, des milieux politiques, des milieux d'affaires et de grands médias, constitutive d'une véritable caste quasi intouchable de décideurs en position de monopole. La justice ne parvenant pas à s'imposer dans cet imbroglio, les médias applaudissent: "Mieux vaut un bon compromis qu'un mauvais procès" (Le Monde, 17 mai 1997).
[9] Cf. Rapport présenté au Parlement Européen lors de sa session de septembre 1998
[10] Ces associations sont subventionnées (ou pas) par les pouvoirs publics selon des critères politiques, ce qui favorise un contrôle idéologique souple de leur action et donc des citoyens. De surcroît, le coût financier de cette politique de "partenariat" est plus léger que le coût de fonctionnement des services étatiques classiques. Pour ne citer que les ONG internationales, plus de 50% de leurs ressources sont d'origine étatique.
[11] Les "violences" contemporaines sont si diversifiées et si efficaces, particulièrement dans les pays développés, qu'elles passent "inaperçues", rendant vaine, en règle générale, la répression traditionnelle.
[12] "Une quantité majeure d'êtres humains n'est déjà plus nécessaire au petit nombre qui, façonnant l'économie, detient le pouvoir. Des êtres humains en foule se retrouvent ainsi, selon les logiques régnantes, sans raison raisonnable de vivre en ce monde où pourtant ils sont advenus à la vie". V. Forrester, L'horreur économique, Fayard, Paris 1996, pp. 36-37.
[13] Les juristes académiques occidentaux restent silencieux. Ceux qui, prétendant appartenir au petit monde des "modernistes" (évidemment tournés vers les doctrines américaines) osent assimiler désormais (après avoir fait la plus virulente critique de la "doctrine Brejnev" sur la "souveraineté limitée") souveraineté et conception stalinienne du droit international! "La politique de Milosevic se rattache à une tradition du droit international héritée du stalinisme et du volontarisme qui fait prévaloir la souveraineté", écrit M. Bettati, ancien doyen de la Faculté de Droit de Paris-Assas (L'Evénement, n ° 753, 8-14 avril 1999).
[14] Cf. par exemple, l'Eglise de Scientologie, très active en Europe. Les responsables des organisations de lutte contre les sectes en France ou en Allemagne considèrent que la présence de la CIA au sein des sectes est vraisemblable.
[15] Cf. les prises de positions vigoureuses de l'Union Européenne contre les lois Helms-Burton et D'Amato, la saisie de l'OMC pour arbitrage, puis les reculs consentis sous le prétexte de la suspension provisoire de l'application de ces lois par le Président Clinton.
[16] A signaler les mises en accusation subites des gouvernements de Malaisie et d'Indonésie, la chute "opportune" de Suharto, après 25 ans de règne solidaire avec les Etats-Unis, etc.
[17] Le lobby américain qui appuie principalement le projet d'AMI est l'USCIB (U.S Concil for International Business), dont la puissance est contestée.
[18] En France, par exemple, une association (discrète) de juristes cautionne certaines consultations électorales africaines, pourtant dénoncées comme irrégulières dans les pays concernés eux-mêmes. C'est ainsi que des professeurs de droit français, moyennant d'importants honoraires, ont cautionné les élections au Togo de M. Eyadema!
[19] La Chine est un cas particulier en raison de sa qualité de grande puissance et de ses potentialités économiques. Elle fait l'objet d'un comportement double de la part des Etats-Unis et de l'Occident: elle subit une attaque politique chronique (à propos des droits de l'homme, notamment), tout en bénéficiant de toutes les prérogatives facilitant ses relations commerciales (par exemple, la clause de la nation la plus favorisée).
[20]Cf. Abdelhamid El Ouali, Nouvel ordre international ou retour à l'inégalité des Etats? Casablanca, 1993
[21] Ces valeurs ne sont pas sans séduction pour les peuples du Sud, qui subissent de très lourdes carences de gestion, la corruption, etc.
[22] L'opposition à la politique du gouvernement de Washington est assimilée par les médias occidentaux ou par certains intellectuels médiatiques en France, notamment (B-H. Lévy, Glucksman, A. Finkelkraut, etc.) à un "anti-américanisme", souvent qualifié de primaire.
Pourtant, aux Etats-Unis mêmes, divers courants intellectuels sont infiniment plus critiques vis-à-vis de leurs autorités que ne le sont les "anti-américains" européens. Il y a chez beaucoup d'Occidentaux, comme l'écrit R. Debray, "une Amérique intérieure" à tuer, résultat d'une longue imprégnation datant de la Seconde guerre mondiale et du conflit Est-Ouest.
[23] Le professeur J. Touscoz écrit en conclusion de l'une de ses études: "Aujourd'hui est en vigeuur ce qu'on appelle la 'mondialisation', phénomène qui ne doit pas être réprouvé car il peut créer des occasions extraordinaires de mieux être. Mais on sent toujours davantage la nécessité qu'à l'internationalisation croissante corresponde l'existence de bons organismes internationaux de contrôle et d'orientation afin de guider l'économie elle-même vers le bien commun, ce qu'aucun Etat, fût-il le plus puissant de la terre, n'est plus en mesure de faire" (Mondialisation et sécurité économique internationale, RGDIP, 1998, 3, p. 644). On ne saurait mieux dire, or, l'actualité nous le montre : le rôle déterminant des Etats-Unis (voir à ce propos les rapports Wolfowitz et Jeremia établis par le Pentagone sur la volonté d'hyperpuissance américaine), la substitution de l'OTAN à l'ONU, de l'OMC à l'UE, un droit international dans le coma remplacé par des vagues"impératifs moraux" définis selon les opportunités, etc. En fait, ce qui a été conquis avec efforts sur une longue période historique dans quelques pays du monde, est à reconquérir à l'échelle planétaire, ce qui ne peut qu'exclure toute confiance dans une quelconque "main invisible" nous guidant vers un monde meilleur.
[24] J. Berque, Il reste un avenir, Arléa, Paris, 1993, p. 192